Une démocratie à sens inique

Le vendredi 30 mars 2012 par Guillaume Roberge-Tanguay

La hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement libéral du Québec engendre une levée de bouclier. D’ici cinq ans, le coût d’une année universitaire dans la Belle province passera de 2168 dollars à 3800 dollars – cela représente une hausse de 75%. Certes en deçà de la moyenne des autres provinces canadiennes, les frais de scolarité québécois demeurent supérieurs à ceux de nombreux pays européens.

En nombre croissant depuis la mi-février, plusieurs dizaines de milliers d’étudiants sont actuellement en grève illimitée au Québec afin d’exprimer haut et fort leur mécontentement et forcer le gouvernement à revenir sur sa décision. Or, le premier ministre Jean Charest, tout comme le ministre des Finances Raymond Bachand et la ministre de l’Éducation Line Beauchamp refusent pour l’instant de céder à la pression populaire, répondant à l’unisson que le dossier est clos, qu’aucune négociation n’est envisageable et que le projet de hausse des frais de scolarité sera mené à bien.

Yannick Marcoux a complété un baccalauréat (licence) en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Asteur, il habite la métropole québécoise et partage son temps entre un poste en communication, un emploi dans une microbrasserie et l’écriture de son premier roman. Yannick Marcoux propose ici une réflexion sur les enjeux démocratiques que soulève aujourd’hui la vaste mobilisation étudiante au Québec.

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Montréal, 26 mars 2012

Une démocratie à sens inique

par Yannick Marcoux

Un jour, en Italie, j’ai demandé au guichetier de train s’il y avait des prix étudiants. Il m’a répondu, avec un sourire : « Vous savez, ici, tout le monde est étudiant, parce que tout le monde apprend tous les jours. »

Aujourd’hui, je suis un travailleur, un contribuable. S’il faut en juger par les propos des Raymond Bachand et Line Beauchamp de ce monde, cela fait de moi, plus qu’un simple étudiant, un citoyen. Les débats qui ont cours au Québec sur une pléthore d’enjeux sociaux me font le plus grand bien. Ils rompent avec cette idée, chère à plusieurs, que le Québec sombrerait dans un cynisme politique. Un laisser-aller désengagé. Un grand nombre de voix s’élèvent aujourd’hui, ensemble, témoignant d’une solidarité et d’un engagement populaire. C’est plein d’avenir, brûlant de présent, et ça fait du bien.

Cette fin de semaine, dans son Devoir de philo, Christian Nadeau écrivait : « Nous nous devons tous beaucoup les uns aux autres, car personne ne peut affirmer sérieusement qu’il s’est fait tout seul. » Ainsi pourrait-on affirmer que payer ses frais de scolarité pour s’acquitter de son devoir de citoyen relève d’une grande hypocrisie. L’université ne forme pas des individus : elle nous élève en tant que peuple. Je ne saisis pas bien la posture du Parti Libéral, qui veut que les travailleurs ne sont plus des étudiants. Peut-on sortir l’étudiant du travailleur, et peut-on penser à l’étudiant sans voir le futur travailleur en lui ? Dans mon parcours scolaire, on m’a enseigné à réfléchir, peut-être n’est-ce pas suffisant pour comprendre.
Et pourtant, je ne fais pas la sourde oreille. J’entends les élans de tous ceux qui affirment que tout est possible, si l’on se sacrifie davantage. Et encore davantage. Je ne les comprends pas, parce que je veux la même chose. Je veux un pays où chacun, à la mesure de ses possibilités, se sacrifie pour faire un Québec meilleur. Je ne crois pas que le sacrifice que l’on demande aux étudiants présents et futurs s’inscrive dans cette démarche. Pourquoi devrait-on se désolidariser de tous ceux qui feront notre avenir meilleur ?
Nous sommes chanceux au Québec, pour l’instant : une majorité vit dans une situation relativement aisée. Je ne dis pas qu’elle le fait sans travail, sans compromis, sans résilience, mais avoir accès à de nombreux services peut nous faire oublier qu’il en est aussi plusieurs qui, malgré le travail, malgré les compromis, la résilience, doivent faire des choix. Comment peut-on impunément imposer à des gens le choix à l’éducation supérieure ? Car c’est bien là un des enjeux de cette hausse éhontée : l’universalité de l’université.

Dans ce débat, chaque faction a pu librement étayer ses arguments. Il y a bien eu quelques balles de neige, gaz et grenades lancées, mais il faut bien reconnaître que notre démocratie demeure effective. Je suis cependant un peu moins enthousiaste par l’application de la démocratie représentative de nos élus. Lorsque tous les jours des citoyens se font entendre, cumulant à une manifestation record de 200 000 personnes [1] , lorsque des appuis de toutes les sphères de notre société se joignent à un mouvement, nous avons une population qui souhaite entrer en dialogue avec son gouvernement. En refusant cette main tendue, le Parti Libéral fait fi de son devoir de représentation du peuple qui l’a élu, rompant avec les fondements de notre démocratie.

Il ne suffit pas d’aller voter pour se satisfaire de notre devoir de citoyens et de citoyennes. Ceux qui osent aujourd’hui la solidarité me rassurent : les Québécois et les Québécoises se soucient de leur avenir. Par leur fermeture, les Libéraux nous montrent que la démocratie, pour eux, se résume à une croix repliée dans une urne. Il faudra y songer aux prochaines élections, lorsque les Libéraux ne pourront plus se dérober à la démocratie.

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Auteur :

Guillaume Roberge-Tanguay étudie le cinéma, se souvient parfois d’être québécois et cultive sa féminité.

Notes :

[1Jeudi 22 mars, une manifestation nationale s’est tenue dans les rues de Montréal afin de réclamer l’annulation du projet de hausse des frais de scolarité que le gouvernement Charest désire mettre en branle dès septembre 2012. On a estimé la foule à près de 200000 personnes. (Note de l’éditeur)


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