Texans, souriez, vous êtes fichés.
700 000 texans à la loupe sur la Toile

Le jeudi 3 juin 2010 par Soleillion

Internet, on le sait, à tailler des brèches énormes dans la protection de la vie privée des individus. La restauration d’une identité numérique vierge devient même un métier à part entière : des agences proposent désormais de supprimer toutes les traces nuisibles (commentaires, profils, photos, etc. ) susceptibles de compromettre une embauche, une réputation, ou autre ; sur Facebook, notamment, un site dans dans la ligne de mire de bon nombre d’association tant la protection des données personnelles n’y est pas fiable. Pourtant, la plupart du temps, et même si personne n’est à l’abri de la malveillance d’autrui, les identités numériques sur les réseaux sociaux ou ailleurs sont déclinées de façon volontaire par les internautes : avoir un compte Facebook, Myspace, ou Viadéo n’est pas obligatoire. Laissez des commentaires à son nom sur des blogues non plus.

Que ce passe-t-il cependant quand vous êtes fonctionnaires ou prisonniers ? En France, les données personnelles ne sont normalement pas révélées par les administrations, même pour les prisonniers. Tout reste confidentiel. Du moins, on peut persister à le croire. Ce n’est pas le cas au Texas.

Le journal en ligne le Texas Tribune édite sur son sitoile plusieurs bases de données, créé à l’aide d’informations diffusées par les administrations, sur, par exemple, les salaires des fonctionnaires ou bien les détenus des geôles texanes : cette dernière étant un véritable Bottin Mondain du prisonnier.

Le pilori numérique

En quelques cliques, pour chaque type de délit, les statistiques donnent le nombre, la répartition par âge, par race (blanc, noir, hispanique, autre) et par sexe.

Ainsi, le cambriolage, le numéro un des délits parmi les dix premiers, est une affaire d’homme et ne fait pas de discrimination : toutes les races (noirs, hispaniques et blancs) sont représentés à égalité. La majorité prend moins de 10 ans pour de telles affaires. Juste derrière, le vol aggravé, donc avec agression, est lui aussi une affaire d’hommes mais noirs pour la plupart (plus de 50%) et hispaniques (un bon tiers). Si les noirs aiment le vol sous toutes ses formes, les blancs sont plutôt spécialisés dans les agressions pédophiles et les attouchements sexuels sur enfants, qui constituent respectivement le septième délit et neuvième délit. Là, les peines dépassent les 20 ans de réclusions dont beaucoup à vie.

Mais ce n’est pas tout, ces statistiques donnent également les fiches descriptives de chaque prisonnier : nom, âge, sexe, mensuration, race, comté d’origine, délits commis, date de prononciation de la peine, lieu d’incarcération.

Corban Henry Wyatts à 91 ans, les yeux bleus, les cheveux gris, cinq pieds et 11 pouces de haut, il est blanc, il vient du comté de Taylor et est né le 5 novembre 1918. Il a été jugé en 2006 pour pédophilie aggravée, un crime commis en 2002. Condamné à deux peines, la prison à vie et 20 ans d’incarcération, il va terminer ses jours à l’hôpital pénitentiaire régional du Texas de l’Ouest. Il est le plus vieux de la liste.

Alfonso Hernandez, lui, à 16 ans, il est né le 29 mars 1994. Hispanique, les yeux marrons, les cheveux noirs, cinq pieds et quatre pouces de haut, il vient du comte de Harris - un comté assez bien placé lui aussi puisqu’il arrive en tête du classement par comté. Il a été jugé en 2009, pour un vol aggravé, probablement à main armée commis en 2008. Il en a pris pour 7 ans et est incarcéré à la prison de Clemens. Il est le plus jeune de ses pairs, incarcéré au milieu des champs, comme Google le montre.

Comme nous sommes au Texas, une page spéciale est consacrée à un type bien particulier de prisonnier : les condamnés à mort. Là encore, il est possible de tout savoir.

Travis Trevino Runnel, numéro 999505, noirs, 37 ans, né le 17 décembre 1972, six pieds de haut, est emprisonné derrière les deux chemins de ronde de la prison de Polunsky, qui est l’unité spéciale des condamnés à mort. Sa fiche montre une vie de délinquance de plus en intensive : deux cambriolages d’immeuble en 1993, un vol à main armé en 1995, un meurtre en 2003. Ce dernier acte le condamne à la peine capitale depuis cette même année. Chose étrange, son précédent crime le condamnait déjà à 70 ans de prison.

Une fiche parmi des milliers d’autres, mais sur laquelle il est possible de mettre un visage souriant : Travis Trevino Runnel tient son blogue en langue française sur lequel il s’explique. Internet accuse, Internet défend.

 Liens : les condamnés à mort au Texas.

La mise en ligne de ses bases de données pose pourtant de nombreuses questions. Une fois sorti de prison, les criminels qui ont purgés leur peine n’ont-ils pas le droit à une certaine discrétion sur leur passé ? Un employeur, un assureur est-il nécessairement à même de tout savoir sur le passé de ses employés, ou assurés ? Cela aide-t-il à la réinsertion ? Votre frère, votre homonyme, votre fils est en prison, devez-vous le révéler à tout le monde ?

L’information est-elle un service publique ?

Le Texas Tribune ne s’explique pas sur ces questions, ni sur les fondements de sa démarche en ce qui concerne les prisonniers. En revanche, il le fait pour les fonctionnaires. Car la question se pose également pour eux, d’autant plus qu’a priori être fonctionnaire n’est pas un délit et que leur salaire ne regarde pas leur voisin.

Que l’on connaisse le salaire de Mack Brown, l’entraîneur de l’équipe de football de l’Université du Texas à Austin, 5.100.000 dollars tout rond, passe encore. Sa fonction en fait un personnage public qui a sa biographie sur Wikipédia et son salaire est une somme assez rondelette pour être justifiée, surtout quand elle est payée par le contribuable texan. Mais est-il vraiment nécessaire de connaître le salaire précis de Daniel Mailloux, officier de police à Austin : 82 553 dollars ?

Comme les professeurs, enseignants, exposés à la curiosité de leur élèves et plus libres que les prisonniers, ne se privent pas d’écrire au Texas Tribune pour demander la suppression de leur nom des bases de données, le journal a été obligé de répondre ; dommage qu’il ne l’ait pas fait par défaut pour les prisonniers. Si le journal explique la base, il ne leur "parle" pas directement.

Le Texas Tribune prévient tout d’abord d’une chose, non seulement il ne retirera pas les noms, mais il ne veut pas le faire.

D’abord parce que toutes ces informations sont publiques. N’importe quel parent d’élève peut, si l’on en croit le journal, demander à l’administration de l’école de lui fournir le salaire des professeurs. Toute agence gouvernementale se doit également de le faire pour ses employées. Les informations sur les prisons sont publiques, mais les serveurs sont lents et inefficaces. Ensuite, parce que le Texas Tribune souhaite en publiant ces bases faire action de civisme, de service public.

Le Texas Tribune fait parti de cette nouvelle presse qui se veut plus indépendante dans la mesure où elle ne vit plus de la publicité mais des subventions de mécènes et n’est plus destinée à réaliser des profits. [1] Des dizaines de journaux ont ainsi été crée ces dernières années aux États-Unis amenant à eux des journalistes engagés - les journalistes du Texas Tribune ne sont pas des débutants - avec l’idée de renouer avec un journalisme d’enquête de longue haleine et d’information et non plus un journalisme de communication et de remplissage entre deux pages de publicité - il n’y en a pas au sens strict sur le sitoile du journal, juste les logos des entreprises donatrices qui défilent.

Cette presse est donc assez proche de l’état d’esprit militant des ONG. Elle souhaite faire œuvre de service publique. En publiant ces statistiques sur les salaires des fonctionnaires et des employés de la fonction publique, elle souhaite savoir, et donner aux citoyens le moyen de savoir, où va l’argent publique et incidemment, pourquoi l’État du Texas n’a pas les moyens d’investir dans la santé ou un meilleur système éducatif.

En dernier ressort, la publication des salaires doit aussi donner des armes de négociations aux employés (Pourquoi untel est-il mieux payer que moi alors que nous faisons le même boulot ?)

S’il n’y a pas de raison de remettre en cause la sincérité des journalistes du Texas Tribune, et leur grand sens de la démocratie et de la citoyenneté, la portée de leur action n’est pas assurée ; l’usage fait de ses bases peut-être bien différent de celui qu’ils escomptent et le bien commun sensé en sortir contrebalancer par des nuisances quotidiennes pour les individus. Mettre à la disposition des citoyens des statistiques fines peut être éclairant [2] , faire ressortir des problèmes, des tendances, mais il n’est pas sûr que des statistiques nominatives - car là est le vrai problème - apportent beaucoup au débat. En mettant des noms sur des chiffres, ne favorise-t-on pas le voyeurisme, la vindicte populaire [3] - surtout quand il s’agît de criminels - plutôt qu’une analyse sereine des problèmes de la nation ? Si une trop grande opacité des institutions publiques peut tuer la démocratie - l’Union européenne est un bon exemple - trop de transparence n’est-il pas aussi néfaste et contreproductif ? Ce n’est pas dit mais le risque est grand.

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Le 9 juillet 2013 par Soleillion

Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1Dans un articles consacré à cette nouvelle forme de presse The Austin Chronicle fait remarquer que les dons sont comme la publicités : ils sont soumis à des conditions.

[2Ainsi ce graphisme interactif qui montre tout ce que les prisons ont acheté en approvisionnement en 2009, les sommes dépensées et à quelles compagnies elles ont été versé ; un bon moyen de connaître l’impact de la consommation des prisonniers dans l’économie du Texas.

[3Deux grosses mamelles, au passage, d’une certaine presse très profitable


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