États-Unis : la reprise est-elle solide ?

Le mardi 27 mars 2012 par Soleillion

La reprise qui se dessine aux États-Unis semble plus solide que d’habitude. On serait sur des bases nouvelles : faisant fi des relances financières, à l’origine de bulles spéculatives dévastatrices, l’Amérique reviendrait à une forme d’économie et de croissance plus réelle que les années passées. Le grand retour de l’économie de l’offre est annoncé.

Deux rapports récents vont dans ce sens : une note économique de Natixis, publié en mars 2012, et un document du Boston Consulting Group, édité au mois d’août 2011 dont le titre est sans équivoque : « Made in America, Again – Why Manufacturing Will Return to the U.S » (Fabriquer en Amérique, à nouveau – Pourquoi les industries vont revenir aux États-Unis)

Qu’est-ce qui change ?

La grande évolution des années à venir consisterait surtout en une certaine érosion de l’attractivité chinoise, à la fois pour les entreprises américaines, en particulier, et plus généralement, pour toutes les entreprises qui vendent sur le marché américain. Les délocalisations devraient diminuer, et, dans certains secteurs, le sens des délocalisations pourrait même s’inverser. De fait, plusieurs facteurs émergent qui permettront à l’industrie américaine de retrouver une certaine forme de compétitivité et d’attractivité. Au final, produire sur place, aux États-Unis, redeviendrait moins cher pour alimenter le marché américain lui-même que de faire fabriquer ailleurs.

Attention ! Guillemets et pincettes sont de rigueur dans cette analyse. Comme le précise le Boston Consulting Group, nous sommes au tout début de cette évolution et elle ne concernera, dans un premier temps du moins, que quelques branches de l’industrie. Néanmoins, tout l’intérêt est que cette tendance devrait se préciser dans les années à venir.

La main d’oeuvre

Première donnée d’importance, les évolutions comparées des masses salariales. En Chine, les salaires augmentent rapidement tandis qu’ils stagnent, voire baissent en Amérique. Si le salaire moyen chinois ne représentait que 3% du salaire moyen usanien en 2000, il en représente aujourd’hui plus de 17% ; l’écart salarial reste donc important mais il se comble rapidement et le phénomène pourrait s’accélérer d’ici à 2015.

La main d’œuvre américaine reste aussi très compétitive par rapport à celle de l’Europe occidentale ; le salaire horaire moyen dans l’industrie est de plus de 49 dollars en France et de 47 dollars en Allemagne, il est de 35 dollars (charges sociales comprises) aux États-Unis ; l’équivalent de la main d’œuvre industrielle espagnole, italienne [1] ou japonaise.

Dans le même temps, la productivité usanienne a fortement augmenté. En base 100, en 2002, elle atteint 122, en 2012. Les salaires, sur la même base, tournent, aujourd’hui, autour de 103 ! Autrement dit, tandis que les salaires chinois augmentent de 15 à 20% par an, un travailleur américain produit beaucoup plus (20%) qu’il y a 10 ans… pour quasiment le même prix [2]. Ce qui augmente relativement sa compétitivité par rapport aux travailleurs chinois beaucoup moins productifs.

En outre, le coût de la main d’œuvre reste bien souvent marginal dans certaines industries :

Tandis qu’il peut apparaître que les salaires chinois restent encore bien plus bas que les salaires américains, il faut garder à l’esprit, prévient le Boston Consulting Group, que le travail est une petite part des coûts de fabrication d’un produit. Dans des produits comme les caméras vidéo, le coût du travail ne représente que 7% du prix, contre 25% pour un équipement automobile. Quand le coût du transport, les taxes, et les autres coûts sont comptabilisés, sans mentionner l’appréciation de la monnaie chinoise, les entreprises pourraient trouver que les gains à produire en Chine sont très réduit par rapport aux tracas et aux risques qu’ils impliquent. Avoir une chaine logistique qui s’étend sur la moitié du monde n’est pas sans conséquence.

Ce sont surtout les états du Vieux sud, du Sud profond ou des Appalaches, [3] qui semblent devenir les principaux bénéficiaires de cette forme de relocalisation. On y assiste, par exemple, à l’implantation des équipementiers automobiles.


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Une dépêche de l’AFP publiée sur le site du Monde, le 22 mars 2012.

Volkswagen embauche 800 personnes dans son usine du Tennessee

Le géant allemand de l’automobile, Volkswagen, a annoncé jeudi 22 mars qu’il allait créer 800 postes dans son usine de Chattanooga dans le Tennessee, au sud des Etats-Unis, afin d’y doper la production de la berline Passat.

Volkswagen avait déjà annoncé plus tôt cette année la création de 200 nouveaux emplois dans la même usine. L’usine Volkswagen de Chattanooga emploie actuellement plus de 2 700 personnes. (- AFP)

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Une situation guère étonnante quand on connait la situation sociale de ces états. Alabama, Caroline du Sud, Tennessee, Mississippi, etc. connaissent de très fort taux de pauvreté, accentués avec la crise, et donc des salaires plus bas qu’ailleurs [4]. En caricaturant beaucoup, l’Amérique commence à réexploiter son « quart monde » [5] domestique . Elle peut toujours aussi, et de plus en plus, compter sur celui qui borde sa frontière sud. Désormais, les salaires mexicains dans les maquilladoras sont inférieurs à ceux de la Chine côtière.

Au final, le Boston Consulting Group résume ainsi l’évolution américaine :

« les États-Unis deviennent un pays à bas coût avec une main d’œuvre de plus en plus flexible et une productivité qui ne cesse de croitre. »

Par ailleurs, les prix des autres facteurs de production (transport, coût de l’énergie et des terrains industriels), parfois plus déterminant pour le coût final, évoluent eux-aussi et incitent à un retour des industries sur le sol américain.

Le transport

Le transport n’est pas l’un des moindres. La Chine est à 21 jours de bateau des États-Unis et à autant de jour de consommation de pétrole. Or, celui-ci ne va faire que se renchérir quoiqu’il arrive. Le graphique 8a de la note de Natixis est explicite : sur une base 100 en 2002, le cours du pétrole WTI [6] avait atteint, six ans plus tard, en 2008, sept fois cette base. En 2008, il s’effondre brutalement autour de l’indice 150. À peine trois ans plus tard, pourtant, il est déjà pratiquement remonté à l’indice 600. La baisse de 2008 n’était que conjoncturelle et imputable seulement à la chute de l’activité économique mondiale.

Avec le renchérissement croissant du prix du pétrole - le prix du fuel a doublé depuis 2009, précisait déjà le BCG en août 2011 -, faire fabriquer en Chine va devenir de plus en plus cher. Le coût du transport étant de moins en moins compensé par les écarts de salaire.

L’énergie

Mais l’augmentation du prix du pétrole n’est qu’un des éléments de la mutation plus générale du secteur de l’énergie. Ce qui joue encore en faveur d’un retour aux États-Unis :

« En Chine, le coût de l’électricité a augmenté de 15% depuis 2010. Cela tient à la fois à l’augmentation du prix du charbon et à la fin des taux préférentiels pour les entreprises à haute consommation d’énergie. Les taux ont donc augmenté pour l’industrie qui consomme 74% de l’électricité chinoise. »

Aux États-Unis, l’inverse se produit car l’exploitation massive des gaz de schistes y a considérablement fait baisser les prix depuis trois ans. Le gaz, en Amérique, coûte, selon Natixis [7], trois fois moins cher qu’en Europe et près de cinq fois moins cher qu’au Japon. Ce qui n’était pas le cas, il y a à peine quelques années.

L’Amérique mute. De plus en plus de centrales thermiques américaines tournent au gaz et non plus au charbon [8]. Pour la première fois depuis 1978, selon le Financial Times, la part du charbon dans la production d’électricité est tombée, en décembre dernier, en dessous de 40%. En conséquence, comme l’extraction du charbon aux États-Unis ne faiblit presque pas [9], les prix du charbon baissent à leur tour. Début mars, le prix de la tonne était tombé à son niveau le plus bas depuis deux ans.

À moyen-long terme, les prévisions de l’Administration pour l’information sur l’énergie comptent sur une augmentation de la production de gaz jusqu’en 2035 et sur une stagnation de la production de charbon à peu près autour des niveaux actuels. Comme charbon et gaz s’exportent beaucoup moins facilement que le pétrole, c’est encore un argument fort pour la réimplantation des industries sur le territoire américain. D’autant que le prix du sol, lui-même, baisse.

Les terrains industriels

La Chine est un grand pays, mais l’installation massive d’industries dans les provinces côtières a conduit logiquement à l’augmentation des prix des terrains industriels. En substance, pour le Boston Consulting Group, ceux-ci sont de moins en moins bon marché et ils ne tiennent pas la concurrence avec ceux des états sudistes aux États-Unis. Si, en moyenne, ils valent 10,22 dollars le pied carré en Chine - de 11,15$ dans la cité côtière de Ningbo, à 21$ à Shenzhen - ceux de l’Alabama vont de 1,86 à 7,43 dollars, ceux du Tennessee ou de la Caroline du Nord vont de 1,30 à 4,65 dollars : id est, deux à dix fois moins chers que ceux des provinces chinoises industrialisées.

Les devises

En terme de prix, un autre avantage de la Chine s’érode de plus en plus vite : la sous-évaluation de la monnaie chinoise face au dollars. Depuis 2005, le Yuan s’apprécie et cette tendance devrait continuer au fur et à mesure de la croissance du marché intérieur chinois et de la nécessité pour la Chine d’avoir une monnaie suffisamment forte pour continuer à importer toutes les matières premières et l’énergie qui lui sont nécessaire.

Sans oublier les liens complexes entre les deux monnaies et donc entre les deux économies – l’essentiel des réserves monétaires chinoises sont en dollars –, cette évolution conditionne évidemment tout le reste et notamment le coût de la masse salariale. Plus la monnaie chinoise va s’apprécier, plus les salaires chinois renchériront face à leurs homologues américains. Il en va de même pour les terrains industriels.

Natixis en conclut que :

« Le taux de change réel effectif des États-Unis s’est déprécié de 35% de 2000 à 2012, il s’est apprécié de 50% dans la zone euro, de 30% en Chine, il est au même niveau au Japon (graphique 9a). On voit d’ailleurs des entrées d’investissements directs aux États-Unis à nouveau depuis 2004 (graphique 9b). »

La réindustrialisation américaine

Tous ces facteurs de moyen-long termes analysés par le Boston Consulting Group se retrouvent dans l’analyse plus récente de Natixis. On peut y lire que :

« Les États-Unis sont donc devenus un endroit compétitif pour la production industrielle, ce dont les entreprises se rendent compte. »

« (La reprise américaine) n’est pas tirée par le crédit ou les prix des actifs, mais par un choc d’offre positif : la hausse de l’investissement et de l’emploi des entreprises, favorisées par la hausse de la profitabilité et par les facteurs favorables à la réindustrialisation (coût du travail compétitif, baisse du prix de l’énergie). Cette reprise de 2011-2012 aux États-Unis est donc « rassurante » et probablement durable. »

En parallèle, la reprise de la consommation des ménages ne se fait pas de façon extravagante. Les ménages, dont l’endettement a été très réduit pas la crise économique de 2008, restent prudent et si reprise de la consommation il y a, elle ne se fait pas au détriment de leurs taux d’épargne. Le retour des industries, même limité, contribue à la stabilisation et, peut-être à terme, à une diminution significative du taux de chômage. Dans un tel contexte, il n’y a plus vraiment de raison pour les ménages à recourir à l’endettement ; icelui n’ayant été qu’une parade, depuis trente ans, pour combler l’écart croissant entre la perte d’emploi liée à la désindustrialisation de l’Amérique et, d’autre part, le besoin de consommation resté très fort (et très encouragé).

En conclusion, cette reprise américaine et cette nouvelle réindustrialisation de l’Amérique après des décennies de pertes d’emplois dans ce secteur, préfigurent probablement une évolution mondiale bien plus déterminée par l’évolution des prix du pétrole et des énergies que par les écarts de salaires qui demeurent, malgré tout, encore très élevés. La Chine n’étant pas le seul pays où il est possible de délocaliser même si la taille de sa population active et les conditions économiques ne seront égalées par aucun autre pays.

Une nouvelle ère s’ouvre : la raréfaction du pétrole oblige à limiter les transports et à se rapprocher des sources d’énergie – gaz et charbon franchissent mal les océans – et des consommateurs. La régionalisation des économies devrait devenir une réalité de plus en plus sensible dans les prochaines années et la place des États-Unis, en occident, devrait en sortir, à nouveau, renforcée [10].

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Source de l’illustration : Kay Hagan, sénatrice de la Caroline du Nord et militante de l’industrie de son état, visite une usine textile. Avant les grandes délocalisations vers la Chine, la Caroline du Nord était un des foyers de l’industrie textile américaine. Aujourd’hui, les initiatives se multiplient pour en assurer le retour. Un défis car ces industries sont particulièrement consommatrices de main d’œuvre.

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Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1qui sont en zone euro et donc avec des produits beaucoup plus cher au final que ceux fabriqués en zone dollars

[2Voir la note de Natixis, graphique 7b

[3et non la vieille Rust belt comme on pourrait s’y attendre, même si les industries automobiles reprennent un peu de vigueur ces derniers temps

[4Une carte interactive récente du Financial Times montre à quel point tous les états du sud combinent taux de pauvreté élevés, taux de chômage, hypothèque des maisons, etc.

[5« Le quart monde est cette couche de population la plus défavorisée, ne disposant pas des mêmes droits que les autres, et qui existe dans tous les pays, qu’ils soient riches ou pauvres. » voir Wikipédia

[6soit le cours valable pour le marché américain

[7Voir graphique 8b

[8qui reste malgré tout la première source d’énergie pour la production d’électricité aux États-Unis

[10D’ailleurs la Chine subit une évolution symétrique. Loin de perdre sa place d’atelier du monde, elle tend à devenir l’atelier... de la Chine et de l’Asie. Son énorme marché intérieur grandit au fur et à mesure de l’augmentation des salaires chinois et du développement de l’Asie où sa monnaie joue un rôle grandissant.


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