Reconstruire l’Amérique...
... un peu mieux qu’avant !

Le mercredi 8 septembre 2010 par Soleillion

Cinq ans après Katrina, la Nouvelle-Orléans est toujours en reconstruction [1]. Toutes les familles n’ont pas regagnées leur quartier d’origine, mais la ville se remet doucement de ses blessures. Elle a une résilience que n’ont pas certaines paroisses, moins urbaines. Celle de Plaquemines, la plus au sud et qui à les pieds dans l’eau - et actuellement dans le pétrole - risque de ne plus retrouver son visage d’avant.

Pourtant, à l’heure du bilan, il faut reconnaître que les catastrophes naturelles ont, parfois, des bons côtés. Elles nettoient les pollutions humaines. L’eau qui a envahit la Nouvelle-Orléans aurait, selon certaines études, fait baisser les concentrations de plombs dans le sol. En conséquence, elles ont diminué dans le sang des habitants, particulièrement celui des enfants.

Elles permettent aussi de repartir de zéro [2]. De tout repenser, notamment dans la manière de bâtir. Certain, aux États-unis comme au Canada, tentent de le faire. Petite promenade cette Amérique du Nord en chantier.

L’ange de la Nouvelle-Orléans

Brad Pitt est l’exemple type - et le plus médiatique - de ces Nord-Américains . La majorité de gens connaissent l’acteur et sa gueule d’ange un peu cassée. Pour les habitants de la Nouvelle-Orléans, ce fut un ange tout court.

En 2007, l’acteur visite la Nouvelle-Orléans et le quartier du Lower Ninth Ward [3], le plus touché par la rupture des levées avec plus de 4 000 maisons détruites. Deux ans après les cyclones, il est toujours silencieux et désert.

Brad Pitt élabore et engage alors une ambitieuse idée [4]. Reconstruire 150 maisons [5]... mais mieux qu’avant.

Makes It Right [6], sa fondation, mobilise donc depuis trois ans, des donateurs et des architectes, qui donnent de l’argent [7] ou offrent des plans. Les maisons reconstruites suivent des règles ambitieuses et notamment celles des cycles de résurgences : développées par des architectes et devenue depuis une norme privée de certification, sous le nom de cradle to cradle [8], ces règles garantissent que les composants des maisons sont le plus sains possible, et pourront être facilement recyclés.

Makes it Right, c’est aussi le grand retour du bon sens. Dans ce quartier, très facilement inondables et en bord de fleuve, les habitations sont construites ... sur de hauts pilotis. Comme quoi, les vieilles techniques ne sont pas forcément les plus mal pensées ! Les architectes innovent aussi - sans forcément séduire les habitants - tout en respectant une certaine culture locale de construction : le quartier a vu naître la première maison flottante d’Amérique [9].

On ajoutera que les toits sont accessibles, comme refuge, et, parfois végétalisés ; les plantes utilisées pour les jardins sont locales, adaptées aux marais salés et résistantes, sans besoins d’herbicides, ni de pesticides ; les arbres sont sélectionnés sur des critères identiques. Enfin, les chaussées artificielles sont poreuses. Finis les larges étendues d’asphaltes, les parkings sans fin, véritable générateurs de torrents ou réservoirs, l’eau doit pouvoir pénétrer dans le sol.

Au delà des maisons, la fondation, mais elle n’est pas la seule à le faire, reconstruit l’ensemble de la vie des habitants du quartier. Là encore, le jardin communautaire, ou partagé, est un des éléments de cette renaissance. Comme partout ailleurs en Amérique du Nord, il faut constater que l’agriculture urbaine, pour ses aspects alimentaires et sociaux, est devenue une sorte de norme d’urbanisme.

Au final, de quartier dévasté, le Lower Ninth Ward, se transforme en un vaste laboratoire architectural et social. L’Amérique étant riche en catastrophe, il n’est pas le seul ; à un peu plus de 1200 kilomètres au nord-ouest de la Nouvelle-Orléans, dans le Kansas, la ville de Greensburg, joue le même rôle.

Greensburg, la bien nommée

Le 5 mai 2007, à 21 h 45, la ville a été frappée par une tornade de puissance F5. Elle a été estimée faisant 2,7 km de large et ayant parcouru environ 35 km. 95% de la ville fut détruite et les 5% restant, sévèrement endommagés. Le National Weather Service a estimé que les vents de la tornade atteignaient les 330 km/h. [10]

Plus petite que la Nouvelle-Orléans, ce gros bourg des prairies est devenu, lui aussi, un laboratoire écologique urbain. Tous les bâtiments administratifs sont reconstruits avec la norme LEED platinium [11] , la plus exigeante de toutes. Cette certification, donnée par le Conseil des bâtiments durables des États-unis [12] prend en compte toute une série de critères, de l’emplacement du site à l’impact du bâtiment sur son environnement en passant par l’efficacité énergétique et, bien sûr, les cycles de résurgence des matériaux utilisés. Préservation des sols, préservations des ressources en eau, basse consommation d’énergie, limitation des transports pendant la construction, la norme tient compte aussi de l’insertion dans le réseau de transport urbain et privilégie les choix les moins polluants [13].

A Greensburg, la bien nommée, [14] les nouveaux bâtiments utilisent les dernières technologies. Le bâtiment du Centre des arts 5.4.7, pour 5 mai 2007, construit par les étudiants en architecture de l’université du Kansas [15] est un édifice actif : ses panneaux solaires produisent de l’électricité. Un récent partenariat avec une entreprise californienne permet de suivre cette production en direct sur la Toile afin que tout un chacun puisse le vérifier.

Greensburg est verte, il faut que cela se sache. La ville a fait de l’écologie une véritable image de marque : Greensburg Greentown. Ici, tout ce qui est non polluant, vert, durable est essayé : des panneaux solaires au café du commerce équitable, de la tondeuse électrique à la maison passive, etc. Une image et une communication payante à l’heure actuelle, Greensburg est devenue "l’ultime bourg vert" du Midwest, dans un article d’Erin White, paru sur le site d’Oprah, la célèbre animatrice télévisuelle.

L’article, qui traite du verdissement des petites villes d’Amérique mentionne également le village de Soldier Groves [16] dans le Wisconsin. Un autre précurseur des communautés écologiques, un peu forcé par la nature. Soldier Groves est détruit dans les années 70 par une crue de la rivière locale. Reconstruit plus loin, les habitants ont profité de cette renaissance pour équiper leur maisons et commerces de panneaux solaires. À l’époque du choc pétrolier, les énergies renouvelables étaient déjà à la mode, le solaire en particulier, et Soldier Groves, choisissant cette énergie, est devenue le premier village solaire d’Amérique. Depuis la réglementation locale interdis, par exemple, qu’un nouveau bâtiment fasse de l’ombre à ses voisins ; elle oblige les bâtiments publics à produire 50% de leur besoin en énergie, au minimum, grâce au soleil. Aujourd’hui, les équipements énergétiques de la ville fournissent à peu près la moitié de ses besoins.

La Nouvelle-Orléans, Greensburg, Soldier Groves, faut-il toujours une catastrophe pour réagir ou prendre conscience ? Peut-être. Mais l’heure du pic pétrolier sonne, la terre se réchauffe, les catastrophes naturelles possible se multiplient avec la dérégulation du climat. La menace aidant, ces modes de constructions deviennent un réflexe partagé par tous.

Pour achever ce voyage, du sud vers le nord, en suivant ce qui fut jadis, grosso modo, l’ouest de la Nouvelle-France, finissons, par un exemple, en Alberta.

Les fées vertes de l’Alberta

Car tout n’est pas noir dans la province du désastre écologique des sables bitumineux. On sait aussi s’y soucier d’environnement. Trois filles, la petite trentaine conquérante, dynamiques, spécialistes de la conception industrielle et de l’architecture écologique le démontrent.

Au début des années 2000, elles fondent EcoAmmo, une société qui aident les entreprises du bâtiment à prendre le virage vert. La première du genre dans l’Ouest canadien. Elles font partis de ces nouveaux activistes qui ne s’opposent plus aux chefs d’entreprises et aux mondes des affaires et de l’industrie, comme dans les années 70 ou 90, mais essayent plutôt de les amener lentement à des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Elles agissent de l’intérieur. [17]

Elles se font connaître, au début, en aidant à la formation du chapitre albertain du Conseil canadien des bâtiments durable. Petit à petit, la reconnaissance vient et les filles gagnent des contrats : de plus en plus d’entreprises comprennent l’intérêt d’obtenir des certifications et une réputation verte, surtout dans le domaine de la construction. Les nouvelles dispositions des communautés territoriales les aident. Les villes d’Edmonton, de Calgary, et le gouvernement de l’Alberta ont fait savoir qu’ils demanderaient une certification LEED pour tous les bâtiments qu’ils loueraient ou construiraient. Quand la Société immobilière du Canada, propriété du gouvernement canadien, construit un quartier résidentiel à Edmonton sur un ancien campement militaire désaffecté, elle s’efforce de faire la même chose ... et fait appel à EcoAmmo [18]

Mais les filles ne veulent pas en rester là. Gagner de l’argent avec les certifications LEED n’est pas leur seul objectif dans la vie. Elles souhaitent aussi éduquer et révolutionner les mentalités de façon à ce que la prise en compte de l’environnement devienne une habitude. Elles ont donc créer Green Alberta. Une base de données, libre et gratuite, qui recensera à terme tous les produits du marché de la construction à tendance verte. Des données vérifiées et classifiées selon des critères qui dépassent le cadre strict de l’environnement puisqu’ils incluent des données éthiques et économiques.

Une idée d’avenir tant les particuliers, à travers toute l’Amérique du Nord, se montrent de plus en plus sensibles à ces questions. Ce qui se fait au niveau des villes, se fait également au niveau individuel. Là, on construit une maison LEED et ici, une maison devient solaire.

Ainsi l’Amérique que certains voient sombrer, n’est peut-être qu’en mutation. Un nouveau visage de l’Amérique du Nord se dessine lentement, au milieu des champs de ruines ou des grandes marées noires. Un visage plus vert, plus pérenne, celui, on l’espère, de l’Amérique du XXIe siècle

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Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1Pour le patrimoine, la French Heritage Society, par exemple, a ouvert un fond spécial pour reconstruire les maisons d’origine française et créole de la Nouvelle-Orléans

[2Même s’il est toujours bon de s’y préparer à l’avance comme il faudrait que ce soit le cas en Californie.

[3Comme son nom l’indique, ce quartier fait partie de la neuvième circonscription électorale de la ville ; le terme "lower", signifiant "bas" comme Pays-Bas, indique que cette partie de la circonscription est plus basse que le reste de la ville et donc sous le Mississippi, au Sud, et le canal industriel, à l’Ouest et au Nord.

[4Les diverses biographies présentent sur la Toile, indiquent que Brad Pitt, qui a grandit dans l’état voisin de l’Oklahoma et qui ne fut pas un étudiant assidu, aurait fréquenté, quelques temps, une école d’architecture. Il a du en garder le goût et fait aujourd’hui un travail de promoteur bien plus intéressant.

[5Brad Pitt a commencé par une opération "boites roses" pour symboliser les maisons à reconstruire, voire ici

[6Fais çà bien

[7À noter que les habitants qui occupent les maisons reconstruites en sont les propriétaires. La fondation ne donnent pas ses maisons, elles les vend, mais à des conditions financières très avantageuses.

[8Ce nom ne sonne pas bien du tout en langue française, et sa traduction littérale, du berceau au berceau, n’est pas très explicite et un peu fausse dans les faits. Donc, il est préférable d’utiliser le terme de cycles de résurgences : comme l’eau ou les rivières s’enfoncent sous terre et en ressortent plus loin, nettoyées, les composants des maisons, ou des produits, peuvent être recyclés et resurgir sous d’autres formes, à l’infini ou presque.

[9La date de l’article en lien ne manque pas d’humour !

[11Leadership in Energy and Environmental Design, Ducité en conception énergétique et environnementale, voire document pdf en français émis par l’organisme québécois

[12Cette organisation, là encore, est privée ; ce qui peut poser quelques problèmes de conflit d’intérêt, mais l’esprit est là

[13La Nouvelle-Orléans aussi reconstruit selon cette norme. Brad Pitt et sa fondation ont été particulièrement honorée : le Lower Ninth Ward détient aujourd’hui la plus grande densité de maison LEED d’Amérique du Nord.

[14Le nom de la ville vient en réalité de l’un de ses co-fondateur, Donald R. Green "Cannonball Green", propriétaire d’une ligne de diligences

[15Ce bâtiment est le premier a avoir obtenu la certification LEED platinium du Kansas et à avoir été conçu et construit par des étudiants

[16Le petit bois des soldats

[17Les sites et projets qu’elles soutiennent sur leur page de liens montrent clairement un engagement pour une économie verte faisant une large place à la relocalisation, à l’achat local, à la responsabilité environnementale et social, voire à l’autonomie énergétique des habitations. Des considérations assez loin de l’économie mondialisé et polluante qui se pratique par ailleurs en Alberta.

[18Leur avenir pourrait aussi passer par le Nord. Dans un récent article de l’Aquilon, on peut lire que les habitations des Territoires du Nord-Ouest ont d’énorme progrès à faire en efficacité énergétique, en partie à cause d’une réglementation désuète.


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