La vallée des prisons ou l’industrie carcérale du Colorado

Le jeudi 2 mai 2013 par Soleillion

David Dufresne et Phillipe Brault se sont rendus, au cœur de la crise économique des années 2008-2009, à Cañon City, dans le comté de Frémont, au milieu des Rocheuses, en plein Colorado. Là, les prisons constituent la seule et unique activité économique ; ou presque car toutes les autres tournent autour. On y travaille pour ou par les 13 prisons locales. Les maladies du travail y sont singulières : des gardiens finissent pas traiter leurs enfants comme des prisonniers ou surveillent en permanence les alentours... y compris pendant leurs courses au supermarché. Quand une prison ferme pour cause de déficit budgétaire, c’est une catastrophe économique. Quand elle n’ouvre pas pour les même raisons, c’est pareil. Surtout en période de crise.

Mais au delà des conséquences locales, les deux journalistes ont exploré une industrie bizarre qui fait de la privation de liberté une gigantesque manne financière et une source inépuisable de main d’œuvre extrêmement bon marché : 50 dollars par mois pour un ouvrier-détenu, c’est imbattable ! Une industrie majoritairement publique, mais qui ne l’est pas exclusivement : le seul état du Colorado compte cinq ou six prisons... privées.

Un reportage à voir car il lève le voile sur une Amérique cachée : les prisonniers sont envoyés très loin de leurs familles et dans des coins reculés comme le comté de Frémont. Mais surtout une Amérique qui se cache d’abord à elle-même son plus vieux démon : l’esclavage.

Les Noirs et les Latinos constituent la majorité de la population carcérale (voir ici pour le cas du Texas) soit bien plus que leur part respective au sein de la population américaine. Mais, si une forme de ségrégation raciale existe, il faut remonter plus loin que l’esclavage des Noirs dans les champs de coton. Les premiers esclaves américains - outre les Amérindiens - étaient blancs et européens et payaient par des années de services gratuit - 7 ans en général - leur voyage en Amérique : ils étaient esclaves pour dettes. L’Amérique s’est construite comme ça, dit quelqu’un dans le film. Quand des prisonniers fabriquent des cellules pour d’autres prisonniers, L’Amérique post-industrielle est peut-être sur la voie de se déconstruire comme ça...

Avec Supermax, le reportage montre - de loin, impossible d’entrer - une Amérique qui invente aussi un des systèmes de torture les plus froids et perfectionnés au monde : l’isolement sensoriel. Dans ces prisons derniers cris, les prisonniers sont littéralement coupés du monde. Ils ne peuvent ni l’entendre, ni le sentir, encore moins le toucher, ni même le percevoir. Comme il est dit dans le reportage, les prisonniers perdent la notion de nord et de sud. Ce n’est plus la correction ou la rééducation qui est ici visée, mais la déshumanisation. Le site Supermaxed.com recense des séries d’articles sur les prisons de ce nouveau genre dont Supermax est le modèle.

Depuis 2010, date du film, l’état du Colorado a surmonté ses difficultés financière et trouvé les 10 millions de dollars pour achever une des tours derniers cris du Pénitencier de l’état du Colorado II. Une tour sur la liste de ces prisons d’isolement que surveille Solitary Watch (Observatoire de l’isolement) : un projet internet qui vise à sensibiliser le grand public sur ces questions. Ce sont donc 300 nouvelles cellules de "ségrégation administrative", le nom officiel de l’isolement sensoriel, qui ont été construites et plus de 200 emplois qui ont été créés...

Trois ans plus tard, la tour est fermée ! Selon la directrice du personnel du gouverneur de l’état, citée par Fox21News, la criminalité en baisse dans l’état du Colorado la rend inutile. La tour avait été prévue en 2003, quand la criminalité augmentait.

Mais un autre argument est peut-être un peu plus décisif. Comme tous les choses un peu technologique, l’isolement sensoriel coûte cher. Fermée, cette tour va faire économiser 13 millions de dollars par ans à l’état du Colorado à partir de 2013-2014. Normalement, les 213 employés ne devraient pas perdre leur emplois et pourront être réaffectés dans d’autres prisons alentours. Il y en a assez pour cela. Les prisonniers vont prendre le même chemin : moins de 20% devraient rester en isolement sensoriel contre 47% auparavant. Les autres retrouveront des conditions d’incarcérations normales.

Dans la vallée de prisons, l’industrie carcérale est une industrie comme une autre...

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Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

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