Boulder sort de l’ère du charbon
Quand démocratie locale rime avec économie et écologie

Le lundi 8 août 2011 par Soleillion

À une trentaine de kilomètres au nord de Denver, Boulder pourrait être une bourgade usanienne comme les autres, dans un cadre naturel splendide : la ville est aux pieds des rocheuses, dominée de grandes corniches appelées Flatirons du nom des vieux fers à repasser.

Sauf que Boulder a une culture bien particulière : elle est écologique à fond. Fin des années 60, déjà, les habitants se taxèrent eux-même pour acheter des terres et en faire des parcs naturels. Plus récemment, à rebours des États-unis, Boulder adhère au protocole de Kyoto. Boulder s’impose à elle-même, par votation, une taxe carbone. Réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement est son credo.

Boulder, de fait, est devenu un laboratoire de toutes les idées nouvelles en matière d’écologie. Les étudiants trient les déchets de l’université. L’hôtel de luxe local en émet dix fois moins aujourd’hui qu’il y a quelques années. On y roule plus qu’ailleurs à l’énergie solaire et surtout musculaire : plus de 500 kilomètres de pistes cyclables sillonnent la ville. Le comté en compte plus de 1600. On y mange local, par évidence, et les déchets des restaurants retournent nourrir les cochons, amender la terre des fermes, etc.

Boulder, il faut le dire, est une ville de scientifiques. Outre l’Université du Colorado, de nombreux centres de recherches dans les domaines de l’environnement et du changement climatique y sont installés. Le Centre national des recherches atmosphériques (National Center For Atmospheric Research) y a son siège. À une vingtaine de kilomètres au sud, la ville de Golden abrite le Centre national pour les énergies renouvelables. La ville et la région, comme l’état du Colorado d’ailleurs, concentrent chercheurs, entreprises innovantes et écologistes motivés et militants.

Boulder, cependant, a un problème de taille : aujourd’hui encore, malgré les panneaux solaires posés sur les toits (8 mégawatts de puissance totale), malgré la mise en place d’un réseau intelligent, malgré les rénovations basses consommations des maisons, malgré tous ses efforts, Boulder continue de consommer de l’électricité produite ailleurs. Pire, l’essentiel provient... du charbon [1] . Une tâche noire sur le tableau vert, une grave faute de goût pour la ville qui se veut la plus écolo des États-Unis !

Perspectives contradictoires.

L’électricité de Boulder, ainsi qu’une partie de son gaz naturel, est fournit par Xcel Energy, un grand groupe présent dans plusieurs états du Midwest, dont la dépendance au charbon s’accroît d’année en année en même temps que la consommation d’électricité du Colorado augmente. De 52,5% en 2009, la dépendance d’Xcel à la houille serait passé à 68% en 2010. Rien d’original quand on sait que la moitié (48%) de l’énergie électrique des États-unis provient de cette ressource minière et que le plus gros producteur est l’état voisin du Wyoming.

Le décalage avec Boulder est évident car la ville veut accélérer les choses en matière d’environnement. Renverser la vapeur. Consommer beaucoup moins, voire plus du tout de charbon, ni si possible de gaz naturel.

À Boulder, les ambitions sont grandes. Alors que les États-Unis prévoient de passer à 20% d’énergie renouvelables d’ici 2020, que la Californie mise sur 33%, que le Colorado lui-même prévoit d’être à 30%, Boulder souhaite passer à 50 ou 70% le plus rapidement possible, soit en 2013-2015, et être à 90% en 2020 !

Une politique intenable dans le cadre des contrats traditionnels de fourniture d’électricité. Impossible en effet espérer avoir un impact significatif, même pour une ville de 100 000 habitants, sur des groupes énergétiques qui évoluent à l’échelle de plusieurs états, fusionnent et grossissent sans cesse et dont les préoccupations sont souvent plus financières qu’environnementales.

Leurs conceptions comme leurs politiques en matières d’énergies renouvelables sont trop peu ambitieuses ou trop aléatoires pour les gens de Boulder. En début d’année 2011, Xcel a donné un exemple concret d’instabilité politique en réduisant considérablement ses prix de rachat de l’électricité produite par les panneaux solaires des particuliers. Les signatures de contrats ont chuté. Une décision visiblement inattendu par l’industrie photovoltaïque du Colorado qui aurait perdu entre 400 et 600 emplois depuis février et s’attend à en perdre le double d’ici la fin de l’année. Or, l’Association des industries de l’énergie solaire du Colorado (Colorado Solar Energy Industries Association) est installée à... Boulder.

Gérer l’énergie localement

Donc, il fallait changer les choses. Boulder y pense depuis longtemps (2003) mais l’occasion ne s’est vraiment présenté qu’en 2010. Le terme de son contrat avec Xcel était arrivé. Par votation, les habitants ont souhaité ne pas le reconduire à l’identique pour une durée de vingt ans et ils ont demandé à la municipalité de chercher des voies nouvelles .

La ville a alors entamé toute une série d’études et de négociations autour d’une idée maîtresse : la localisation. Boulder souhaite "relocaliser" : rapprocher les sources d’énergies du lieu de consommation pour en contrôler plus activement la propreté environnementale et en maîtriser les coûts et la fiabilité.

« Gouverner, c’est prévoir » disait Émile de Girardin. Outre la dimension environnementale et la baisse des émissions de gaz à effets de serre, le programme Boulder’s Energy Future (l’énergie d’avenir de Boulder) veut préparer la ville à un environnement énergétique mondial de plus en plus incertain.

Cette réflexion est donc tout autant écologique qu’économique. Les énergies fossiles vont devenir de plus en plus chères, inévitablement, et cette inflation des prix de l’énergie aura des répercussions importantes sur l’ensemble de l’économie. Seules les entreprises (et les communautés) dont l’essentiel de l’énergie consommée sera locale et issues de sources renouvelables seront les moins touchées.

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Les énergies du Colorado
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Cette vidéo (en anglais) présente les différentes énergies renouvelables possibles pour le Colorado. Elle est produite par l’Université du Colorado à Boulder. Là encore, l’insistance sur la création d’emplois démontre que la réflexion est tout autant économique qu’écologique.

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Techniquement, deux voies se présentent à la ville. Premièrement, renouer un contrat avec Xcel mais en y incluant une part beaucoup plus grande d’énergies renouvelables. Le groupe propose notamment la construction d’une nouvelle ferme éolienne de 200 mégawatts dans des comtés voisins, en partenariat avec NextEra, pour alimenter Boulder, mais il demande en contre-partie un engagement pour vingt ans.

À la mi-juillet, les discussions semblent rompues. L’engagement demandé par Xcel est long, trop long. En outre, le vent n’est pas une énergie indépendante. Quand il ne souffle pas, il faut compenser par de l’électricité issue de centrales thermiques, rapides à allumer. Charbon ou gaz sont les compléments obligatoires de l’éolien. À l’avenir, si Boulder dépend majoritairement de cette énergie, elle aura donc à subir, certes de façon indirecte, l’augmentation des prix des énergies fossiles. Dans ces conditions, impossible de maintenir ses objectifs de stabilité des prix.

Les négociations ayant échoué avec Xcel, c’est le second choix, la création d’une entreprise municipale de l’énergie, qui semble s’imposer, mais qui devra être valider, par votation là encore, à l’automne 2011.

Municipaliser l’énergie

L’idée d’une entreprise publique de fourniture d’électricité peut paraître saugrenue au pays du libéralisme, mais c’est un préjugé. 2000 localités (46 millions d’Américains, 15% de la population totale) possèdent leurs propres entreprises publiques, selon l’American Public Power Association, l’association des entreprises publiques de l’énergie. Généralement, les communautés qui fonctionnent ainsi sont de petites tailles et ont des besoins modestes assez vite couverts : par exemple, ici, dans l’état de New York, mais c’est également le cas de la ville de Lyons (dans le Colorado) ou de la ville de Paris (dans le Tennessee). Même si au cœur du Texas, la compagnie publique d’Austin fournit de l’électricité à plus d’un million de Texans, créer une entreprise publique pour une ville de la taille de Boulder est beaucoup plus rare. D’ailleurs, la loi du Colorado ne le permet pas encore et devra être modifiée.

Si certains sont enthousiastes, cette décision laisse songeurs des observateurs comme Taran Volckhausen du Colorado Independant, et inquiète réellement certains citoyens, comme ceux de l’association Boulder Smart Energy Coalition, à cause des coûts engendrés par une telle idée.

Il y a, au cœur de leurs craintes, la question du réseau électrique. Xcel fournissait l’électricité mais gérait aussi le réseau. Or, celui de Boulder est unique en sont genre. En 2007, lors d’une première renégociation de contrat, Xcel s’est engagé a mettre en place un réseau intelligent - la consommation et la production d’électricité décentralisée (panneaux solaires, voitures électriques, etc.) sont gérées par des ordinateurs - très poussé, très expérimental aussi, et dont il n’y a pas d’équivalent dans tous les États-unis. Ce réseau a nécessité la pose de centaines de mètres de fibres optiques et des milliers des compteurs intelligents. Il a coûté cher.

La ville va devoir le racheter. L’estimation faite par les consultants mandatés par la municipalité donnait un prix de rachat de 300 millions de dollars, mais au final, le prix payé pourrait être doublé, ou plus. La bataille juridique menace d’être rude et, à elle seule, source de dépenses colossales. Le pari est donc probablement beaucoup plus risqué et coûteux qu’il n’y paraît. Pour ces citoyens sceptiques sur la voie choisie, le choix de la municipalisation ne donnera pas les résultats espérés : les tarifs de l’énergie risquent d’augmenter de manière importante si, dans un premier temps, la ville doit tout faire.

Les enthousiastes et les optimistes, eux, voient dans la municipalisation le moyen de diversifier les sources d’énergie. De profiter, voire d’encourager, des technologies émergentes. Il y a, là encore, une vision à la fois politique et économique de long terme. Boulder veut faire en sorte que les énergies de demain naissent ou se développent, chez elle, pour créer des emplois localement. Les entreprises sont là, elle en a les moyens. C’est un des effets attendu de la relocalisation : dépenser autant d’argent, voire plus, dans l’énergie, mais faire en sorte que ces dépenses profitent avant tout, ni à des employés lointain, ni et surtout à des actionnaires plus éloignés encore, mais à la communauté et à ceux qui y travaillent, et qu’à long terme ces dépenses soient stables, voire diminuent.

L’entreprise publique, en outre, n’est pas obligée de produire elle-même son électricité. Selon l’APPA, les deux tiers des entreprises publiques achètent leur électricité à d’autres. L’idée prédominante à la relocalisation et à la municipalisation de l’énergie n’étant pas nécessairement de faire, mais de contrôler plus localement, plus démocratiquement, de quelles sources provient l’électricité consommée par la communauté.

En 1950, Louis R. Franck écrivait dans son Histoire économique et sociale des États-unis :

Le pragmatisme américain n’est pas déterministe. (Il) exclut tout à la fois le marxisme et l’évolutionnisme spencérien ; il est naturaliste et optimiste, il procède d’une confiance illimitée dans les possibilités de l’éducation humaine. La démocratie devient pour lui la forme de gouvernement qui permet le mieux la croissance intellectuelle et spirituelle de ses membres, par l’élargissement des "zones de préoccupations partagées".

Les militants de RenewableYes (Oui aux renouvelables) sont tout à fait dans cette veine. Ils explorent, notamment par des conférences extrêmement rapides où chaque entreprise à deux minutes pour convaincre, tous les moyens possibles pour atteindre l’autonomie énergétique : éolien ou solaires, hydroélectricité (Boulder possède un barrage de montagne et une petite centrale hydroélectrique obsolète ), biocarburants, moyens coopératifs de financement de panneaux solaires, et même un mélange, dans un premier temps, avec des centrales à gaz. Le gaz étant, à ce niveau là, 44% moins polluant que le charbon [2]

Enfin, le choix de la municipalisation n’est pas non plus définitif. Si lors de la dernière votation, les citoyens ont remplacé les honoraires d’Xcel par une taxe, cette décision est valable cinq ans seulement. Le temps nécessaire pour la ville d’étudier des voies nouvelles. Comme le précise Jane S. Brautigam de la municipalité de Boulder, ce que les citoyens vont décider en novembre, c’est uniquement d’ouvrir, de façon formelle, les négociations pour le rachat du réseau électrique et la mise en place d’une entreprise municipale mais pas de les poursuivre au point de compromettre la santé financière de la ville. En cas de prix trop élevé de la part de Xcel, la ville pourra toujours faire marche arrière. Renégocier de nouvelles voies.

Peu importe, au final, le choix que fera Boulder pour atteindre son objectif : être une des premières villes au monde à ne dépendre que d’énergies renouvelables locales à des coûts les plus bas possible. L’engagement des citoyens sur ces questions, la réflexion collective sur un sujet aussi essentiel pour l’avenir des communautés, en bref, tout ce qui se déroule à Boulder est déjà en soi une petite révolution. L’Amérique change, elle mue lentement, mais elle mue.

L’American Security Project (le projet pour la sécurité américaine), une idécurie très institutionnelle et basée à Washington, vient de publier un rapport qui va dans ce sens. Il insiste sur le fait que les États-unis n’ont plus les moyens de dépenser moult milliards de dollars pour importer du pétrole, ni de soutenir la politique étrangère et militaire qui va avec - et qui coûte encore bien plus chère. Dans ce contexte les analyses et les choix de Boulder apparaissent non pas comme ceux de quelques écologistes farfelus, mais ceux de gens responsables qui ont juste quelques lustres d’avance sur le reste de l’Amérique.

Pour aller plus loin :

 le site de Boulder Energy Future

À lire aussi :

 Ces villes qui tentent de se libérer du pétrole

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::::::::: A lire aussi :::::::::
Le 11 octobre 2010 par Soleillion

Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[160% de son électricité provient du charbon, 28% du gaz naturel, soit 88% de son électricité de source fossile. 11% provient de l’éolien et 1% d’une centrale hydroélectrique (Daily Camera)

[2À ce niveau là seulement car à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de la ville, les montagnes du Colorado, notamment dans le comté de Garfield, sont ravagée par l’exploitation des gaz de schistes


Blogueville

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