Menaces sur le roi charbon
Quand les militants anti-charbon menacent la sûreté des Etats-unis.

Le mercredi 20 octobre 2010 par Soleillion

Les hippies [1] reviennent pour sauver l’Amérique. Ils ne militent plus contre la guerre du Vietnam, une guerre lointaine, mais contre une guerre énergétique, une guerre intérieure : la guerre du charbon.

Le 27 septembre 2010, les opposants à la décapitation des montagnes manifestaient à Washington lors d’une marche nommée, non sans humour noir, l’Appalachia Rising, littéralement, le soulèvement des Appalaches. Ils sont venus de tous les états concernés : Virginie occidentale, Kentucky, Virginie et Tennessee. Les banderoles et écriteaux disaient tout le mal que provoque cette technique particulièrement brutale d’extraction du charbon : "le charbon nous tue", "industries avides", "les écosystèmes des montagnes ne repousseront pas"...

Arrivés devant la Maison Blanche, les 2000 manifestants environ se sont retrouvés face aux forces de l’ordre et une centaine d’entre eux a été interpellée ; ils ont violé une des règles : ils se sont assis devant la Maison Blanche. Adepte de la désobéissance civile comme de la non-violence, ces arrestations se sont faites au pas, tranquillement, sans résistance (vidéo ici). Parmi eux, James Hansen, un des plus grands spécialistes du réchauffement climatique et directeur de l’Institut Goddard de la Nasa ou bien Larry Gibson, un des militants les plus actifs, un habitué des arrestations. Son histoire est symbolique.

Comme le raconte son sitoile [2] et l’atteste le cimetière local, sa famille habite depuis le début du XVIIIe siècle autour du mont Kayford en Virginie occidentale. Lui, ses parents et ses amis avaient l’habitude de lever les yeux pour contempler les sommets depuis les terrasses de leurs maisons. Ils vivaient au milieu des montagnes. Aujourd’hui, 25 ans après le début de l’exploitation minière par décapitation, Larry Gibson habite ... au dessus des montagnes. Sa maison est devenu le point le plus haut des environs ; entourée par 12.000 acres (6 000 hectares environ) de montagnes défoncées et de débris.

Pour protester contre ce massacre écologique au pas de sa porte, Larry Gibson a créé Keeper of the mountains foundation (la fondation Gardien des montagnes) participant ainsi au vaste mouvement qui sourde depuis des années dans les vallées appalachiennes et qui vient de jaillir à Washington [3].

Des organisations et des fondations de cette sorte, il y en a maintenant des dizaines. Coordonnées par Mountain Justice, entre autres, elles sont de plus en plus actives et cet activisme, essentiellement pacifiste - les explosifs ne sont pas dans leur camp -, n’est pas du goût de tout le monde. Les prochaines représailles pourraient donc être bien plus dures que les petites arrestations de Washington car les champions de la sécurité intérieure craignent une radicalisation de ce mouvement et des menaces directes sur les compagnies minières, l’Agence de protection de l’environnement, ou les banques usaniennes ou étrangères qui financent les opérations minières de décapitation des monts [4].

Ces manifestants ont donc eu le plaisir de se voir inscrit sur la liste des terroristes potentiels, publiée par le Bureau de la sécurité intérieure de l’état de Pennsylvanie, dans son bulletin N°31 de la fin août. La menace est considérée comme basse à modérée, ils ne sont pas encore l’ennemi numéro un.

Le rapport, d’ailleurs, anticipe plutôt qu’il ne constate. Quand on vit de la sécurité, il faut bien créer la menace quand celle-ci n’existe pas. Dans un extrait, cité par le journal HSToday, le journal de la sécurité intérieure, on peut lire que :

les environnementalistes extrémistes continuent de viser les industries de l’énergie en commettant des incidents criminels, en premier lieu pour s’opposer aux industries utilisant des énergies fossiles. A cette date, les industries de l’énergie n’ont rien rencontré de plus que du vandalisme, des intrusions, ou des menaces. Mais cette disposition commence à se transformer en des actions plus criminelles et plus extrémistes. Fondé sur des rapports récents d’incidents criminels envers les industriels de l’énergie et les entreprises ou les individus affiliés, il apparait que les environnementalistes extrémistes vont devenir une plus grande menace pour les industriels de l’énergie, sachant qu’historiquement, quelques environnementalistes extrémistes ont commencé par de petits délits pour évoluer ensuite, avec le temps, vers des crimes plus importants dans leur efforts pour servir davantage la cause de l’extrémisme environnemental

Il est vrai que d’autres arrestations ont eu lieu. Par exemple, celle, rapporter par le journal Climate Ground Zero [5], de cette poignée de militants qui ont déployé une banderole, en plein milieu de la mine Edwight, en Virginie occidentale, demandant à l’Agence de protection de l’environnement d’arrêter la décapitation des montagnes. Mais qui menace réellement la sécurité intérieure, celle des citoyens ? Qui aurait du être arrêté ?

Car cette banderole tentait, elle, d’arrêter Massey Energy, dont les actions de dynamitage dans la mine Edwight se font juste au dessus de la petite ville de Naoma [6] et d’une école élémentaire, directement inquiétée par les éboulements, les jets de pierres et les poussières fines provoqués par les explosions [7]. La menace, sur ce point, est clairement du côté des industriels.

La seule inquiétude légitime des compagnies minières concerne la sûreté physique de leurs employés et de leurs installations que les environnementalistes pourraient remettre en cause par des actions de sabotage. C’est un des points que développe l’article d’HSToday ; mais l’article oublie de dire que les compagnies n’ont besoin de personne pour tuer elle-mêmes leurs mineurs. Ils sont les premiers à être mis en danger par les dynamitages. Les premiers à être mis en danger par les violations de sécurité des industriels [8]

De façon probablement inattendue pour ses auteurs, le bulletin N°31 a donc fait grand bruit. Les environnementalistes et les militants anti-charbon n’ont pas du tout apprécié la plaisanterie. Les militants anti-taxes, inclus aussi dans le rapport, non plus. Être assimilés à des terroristes leur a déplus et tous sont assez consternés par cette violation du premier amendement : celui qui garantit la liberté d’expression. D’autant que ce rapport n’émanait pas directement du Bureau de la Sécurité intérieure, mais d’une agence de sécurité privée usano-israélienne, l’Institut du terrorisme, Recherches et réponses, au titre d’un contrat de plus de 103 000 dollars.

Même les Pennsylvaniens moins impliqués ont assez mal compris pourquoi un rapport aussi cher mentionnait des militants essentiellement pacifistes. Dans un de ses éditoriaux, la Pittsburgh Tribune-Review espérait, en substance, que pendant que les services de sécurité étaient envoyés chasser des merles blancs par ce rapport bidon, ils n’avait pas fait de la Pennsylvanie une proie trop facile pour ... d’authentiques terroristes.

Une bourde embarrassante pour le gouverneur de l’État de la Clef de Voûte, Edward G. Rendell, qui a du faire sauter sont fusible ; le directeur du Bureau de la sécurité intérieure de Pennsylvanie à démissionné de ses fonctions, et à arrêter le contrat avec l’agence privée.

Les choses en sont restée là pour le moment, mais la guerre du charbon a bien commencé.

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Le 11 octobre 2010 par Soleillion

Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1L’épithète "hippies" a été crée au milieu des années 60, de façon péjorative, par la San Francisco Chronicle. Il dérive du mot "hip" qui signifie branché, dans le coup.
Source : Ronald Creagh, Utopies américaines, Expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, Agone, 2009.

[2Le sitoile d’I Love Mountains propose une carte Google de la montage de Keyford. On y voit très bien l’étendue des dégâts causés par la mine.

[3La pollution de l’eau douce par les produits chimiques utilisés par les mines est un problème crucial pour les habitants : ils ne peuvent tout simplement plus boire l’eau du robinet

[4Le réseau d’action pour la forêt pluviale (Rainforest Action Network) a simplement lancé une pétition électronique demandant au directeur de la banque PNC, dont le siège historique est à Pittsburgh, capitale des industries minières de Pennsylvanie, de cesser de financer les opérations de décapitation des montagnes. Ce réseau considère en effet que cette banque est l’un des principaux financier des compagnies minières, dont "la pire de toutes, Massey Energy". Elle aurait investit plus de 130 millions de dollars depuis deux ans dans ces opérations minières. Le rapport du Bureau de la sécurité intérieure de Pennsylvanie cite également la banque Suisse UBS AG

[5Le titre de ce journal environnementaliste est aussi une référence, mais inversée, au terrorisme.

[6Si vous disposez de Google Earth, faites l’expérience : tapez Naoma, W.Va.. Vous pourrez constater que la mine se trouve à moins de 700 mètres au dessus de la ville. En survolant la région, vous pourrez également visualiser la manière dont les mines à ciel ouvert gangrènent le paysage et menacent les villes et les habitants
des Appalaches.

[7Lire à ce sujet le chapitre consacré à Voices of appalachia dans notre article Regards sur les Appalaches

[8Lire à ce sujet, le blogue Coal Tattoo, un blogue spécialisé de la Charleston Gazette qui traite des questions charbonnières dans toutes leurs dimensions. Cette page aussi du même journal sur la catastrophe de Montcoal, au printemps dernier, en Virginie occidentale, ou 29 mineurs de Massey Energy ont trouvé la mort.


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